Le différé de communication d'une information privilégiée: un exercice complexe ?   

Thomas Hornus, associé chez EuroLand Corporate
23 juillet 2024

La réglementation sur les informations privilégiées joue un rôle crucial dans la transparence et l'intégrité des marchés financiers. En France, cette réglementation est principalement régie par le Règlement (UE) n° 596/2014 sur les abus de marché, aussi connu sous le nom de MAR (Market Abuse Regulation). Une disposition clé de ce règlement concerne le différé d'information, permettant aux entreprises de retarder la publication d'informations privilégiées sous certaines conditions strictes.

Rappel de la notion d’information privilégiée

Selon MAR, une information privilégiée est une information précise, non publique, concernant directement ou indirectement un émetteur ou un instrument financier, et qui, si elle était rendue publique, pourrait avoir une influence significative sur le prix de ces instruments financiers ou sur le prix d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

En principe, l’émetteur doit procéder dès que possible à la communication de cette information, et ce quel que soit le marché d’Euronext sur lequel ses titres sont cotées, sans quoi sa responsabilité ainsi que celle de son dirigeant pourront être engagées.

Le principe du différé d'information

Le différé d'information permet à une société cotée de retarder la divulgation publique d'une information privilégiée afin de protéger ses intérêts légitimes. Cependant, ce report d’information n'est permis que si les trois conditions suivantes sont remplies :

  1. les intérêts légitimes de l'entreprise seraient compromis par la divulgation immédiate de l’information.
  2. le report de la communication de l’information ne risque pas d'induire le public en erreur.
  3. l'entreprise est en mesure de garantir la confidentialité de l'information.

L’ESMA (European Securities and Markets Authority) et l’Autorité des Marchés Financiers ont donné, à titre non exhaustif, un cadre d’interprétation aux deux premières conditions (voir notamment le Guide de l’information permanente et de la gestion de l’information privilégiée section 1.2).

  1. Exemples d'intérêts légitimes
  • négociation en cours d'une opération de fusion ou d'acquisition où la divulgation prématurée pourrait compromettre l'opération ;
  • conclusion d'un contrat majeur où la publication de l'information pourrait affecter les négociations en cours ;
  • situations de crise interne nécessitant une gestion discrète avant de pouvoir informer le public.
  • Exemples où le différé pourrait induire le public en erreur
  • l’information privilégiée reportée est sensiblement différente d’une annonce publique précédemment faite ;
  • l’information privilégiée reportée concerne l’impossibilité pour l’émetteur d’atteindre les objectifs financiers annoncés publiquement auparavant ;
  • l’information privilégiée reportée est contraire aux attentes du marché elles-mêmes basées sur des « indices » transmis précédemment par l’émetteur.

Si l’émetteur considère qu’il remplit ses trois conditions il peut donc reporter à plus tard la publication de l’information privilégiée concernée.

Dès lors que cette information ne remplira plus l’une ou l’autre des trois conditions rendant le différé possible, l’émetteur devra la publier et informera immédiatement l’AMF, par courrier électronique à une adresse dédiée (differepublication@amf‑france.org), qu’il vient de publier une information privilégiée dont il avait antérieurement décidé de différer la publication.

Le non-respect des règles de différé d’information peut entraîner des sanctions sévères, l’AMF disposant d’un large éventail de sanctions allant des amendes pécuniaires à des sanctions disciplinaires contre les dirigeants. Par ailleurs, il faut conserver à l’esprit qu’une mauvaise gestion de l’information privilégiée peut gravement nuire à la réputation de l’entreprise et à la confiance que lui porte les investisseurs, avec les conséquences désastreuses que cela peut avoir sur le cours de bourse de la société.

Justification du différé et organisation à mettre en place chez les émetteurs

A réception de la notification par courriel de l’émetteur, l’AMF aura la possibilité de demander à ce dernier des précisions écrites sur le caractère applicable des trois conditions permettant le différé, précisions qui devront être fournies sans délai à l’AMF par l’émetteur.

Pour ce faire, toute société cotée doit mettre en place des procédures internes adéquates lui permettant de justifier, si besoin, à l’AMF que les trois conditions requises par MAR pour pouvoir différer la publication de l’information privilégiée étaient bien satisfaites.

Finalement, si le différé d'information dans la réglementation relative aux informations privilégiées offre la flexibilité nécessaire aux entreprises cotées pour protéger leurs intérêts légitimes tout en maintenant la confidentialité des informations sensibles, cette pratique doit être utilisée avec prudence et en stricte conformité avec les conditions établies par MAR et surveillées par l'AMF. Une gestion rigoureuse et transparente de ces différés est essentielle pour préserver la confiance des investisseurs et garantir l'intégrité des marchés financiers. En fin de compte, il s'agit de trouver un équilibre entre la protection des intérêts stratégiques de l'entreprise et l'essentielle exigence de transparence vis-à-vis du marché.

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